Acteurs
Les Etats
Au niveau international, il s’agit des principaux acteurs qui initient le débat autour de la controverse. On distingue plus ou moins deux groupes d’Etats :
•
Les pays « consommateurs de CO2 »
principalement les pays développés, qui incluent l’Europe à 27 et les pays de l’OCDE. Leurs émissions de CO2 sont vues à la baisse grâce à la méthode par la production, en comparaison avec l’approche par la consommation
•
Les pays « producteurs de CO2 »
pays en développement (BRICS) et plus ou moins les autres pays du monde pour lesquels les émissions de CO2 liées à l’export sont plus importantes que les émissions liées à l’import
Si la méthode de comptabilisation du CO2 n’est pratiquement plus remise en cause lors des conférences internationales (lors de la COP21, la question n’a pas été réellement soulevée), les Etats ont eu un rôle décisif lors du choix de la méthode à utiliser en 1997 (voir historique du choix de la méthode de comptabilisation – partie méthode par la production). Par ailleurs, les Etats continuent d’avoir un rôle influent notamment par les critiques qu’ils peuvent émettre en marge des conférences internationales ou dans les choix qu’ils peuvent prendre sur leurs inventaires nationaux. L’Inde est par exemple partisan d’une remise en cause de l’approche par la production, revendication que le pays émet dans des colloques et discussions parallèles aux conférences internationales. En Amérique latine, l’Uruguay et le Brésil prévoient d’établir une courbe de dommage lors de la réalisation de leurs inventaires, ce qui permet d’avoir un impact en termes de politique publique beaucoup plus important. En effet, plutôt que de seulement quantifier des émissions de CO2, y attribuer un impact environnementale et économique facilement visualisable en fonction des types d’activités permet de meilleures actions de lutte contre le réchauffement climatique. Pour plus d’informations, vous pouvez consulter les INDC (intended national determined contribution) des deux pays en annexe.
Les entreprises
Acteurs peu impliqués dans le débat, mais qui influencent malgré tout la controverse. Les inventaires reposent en effet sur les datas et informations données par les entreprises. Etant donné que celles-ci ne profitent pas financièrement des activités polluantes qu’elles peuvent engendrées (taxe carbone pour l’acheteur d’une voiture par exemple qui va faire baisser les ventes des véhicules les plus polluants), cela peut les inciter à truquer ou cacher une partie de leurs activités pour avoir un bilan plus vert au final. L’exemple du scandale Volkswagen est très révélateur de ce point. Le constructeur automobile allemand est accusé par les autorités américaines d’avoir sous-évalué les émissions de CO2 dégagés par les moteurs équipant ses véhicules diesel. Il s’agirait d’un trucage à grande échelle concernant près de 800000 modèles. Concrètement, la marque aurait installé un logiciel secret pour tricher lors des tests anti-pollution. Cela interroge donc sur la pertinence d’une méthodologie fondée sur la responsabilité exclusive du producteur et propice à la multiplication des fraudes.
S’il s’avère impossible de catégoriser toutes les entreprises sur une même tendance, on peut tout de même penser qu’elles auraient plus pour intérêt de soutenir l’approche par la production qui sous-tend, en termes de politiques publiques, des logiques de marché plus que des logiques de taxes à l’achat. En effet, l’approche par la consommation peut facilement induire la mise en place d’un système de taxe au consommateur en fonction des émissions produites par le bien qu’il consomme. Dans cette optique, il apparaît donc plus intéressant (en particulier pour les entreprises polluantes) d’éviter ce système de taxe, bien que cela se fasse au détriment de l’environnement.
CCNUCC
La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) est l’organe international qui tente de cerner les impacts du réchauffements climatiques, les possibilités de solution et toutes les questions qui en découlent. Elle a été adoptée en 1992 au cours du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro et est entrée en vigueur le 21 mars 1994. Aujourd’hui, pratiquement la totalité du monde (195 pays) a ratifié la convention. C’est cet organe qui réalise les conférences internationales (conférence des partis) autour du sujet du climat, la dernière en date étant la COP 21 qui a pris place à Paris en décembre 2016.
Le GIEC
Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) est l’un des principaux acteurs de la controverse. Cet organisme intergouvernemental a été créé sous l’impulsion de l’ONU et de l’OMS pour étudier les changements climatiques et l’influence anthropique. Il s’agit d’un groupe de scientifiques qui a pour rôle de rester impartial et sans parti pris sur les informations liées au climat. Le GIEC publie régulièrement des rapports sur l’avancée de ses travaux et sur les conclusions qu’ils peuvent donner. Au niveau de notre controverse, le GIEC est l’organe qui fixe les règles et les pratiques pour réaliser les inventaires de CO2. En effet, à l’issu de la conférence de Rio et du choix d’une approche par la production, il a fallu uniformiser au niveau mondial une unique méthode de comptabilisation du CO2. Dans son rapport de 2006, le GIEC a donc publié les dernières lignes directrices en matière d’inventaires nationaux de gaz à effet de serre. Plus concrètement, il s’agit de « guidelines » à l’attention des Etats pour leur permettre de calculer leurs émissions sans passer par des outils de mesures du CO2 et des autres gaz. Pour avoir plus d’informations sur ces guidelines, vous pouvez consulter la rubrique « méthode par la production » qui les détaillera.
ADEME
—Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie— participe à la mise en place des politiques publiques environnementales en mettant à disposition des entreprises, des collectivités locales, des pouvoirs publics et du grand public, ses capacités d’expertise et de conseil. Elle aide aussi en finançant des projets et la recherche. Dans son article Les émissions importées Le passager clandestin du commerce mondial, elle se montre favorable à la comptabilisation basée sur la consommation.
RAC-F
—Réseau Action Climat-France— est une association spécialisée sur le changements climatiques. Elle regroupe 18 associations nationales de défense de l’environnement, de solidarité internationale, d’usagers des transports et d’alternatives énergétiques. Le RAC-F est le représentant français du Climate Action Network (CAN) qui est une association internationales formé de 700 associations membres dans le monde. Dans son article Les émissions importées Le passager clandestin du commerce mondial, il se montre favorable à la comptabilisation basée sur la consommation.
CITEPA
—Centre Interprofessionnel Technique d’Etudes de la Pollution Atmosphérique—est une association à but non lucratif qui identifie, analyse et diffuse des données et des méthodes sur les émissions de CO2 et le changement climatique. Dans le cadre de la mission qui lui est confiée par le Ministère chargé de l’Environnement, le CITEPA assure la réalisation des inventaires nationaux d’émissions de polluants atmosphériques et de gaz à effet de serre conformément aux engagements de l’UE et internationaux de la France.
La Deutsches Institut für Entwicklungspolitik
est l’un des principaux groupes de réflexion (ou think tank) pour la politique de développement dans le monde entier (classé dans le top 10 par le classement du Global Go To Think Tanks Rapport).La Deutsches Institut für Entwicklungspolitik a publié un article intitulé Counting CO2 in a globalised world dans lequel elle soutient la comptabilisation basée sur la consommation, car elle fournit une base pour le partage des responsabilités environnementales entre les pays producteurs et consommateurs. En effet, ce rapport souligne que les pays du G77 consomment 23% de moins que les émissions de CO2 qu’ils produisent alors que les pays de l’OCDE consomment près de 30% plus d’émissions de CO2 qu’ils produisent.
Oxfam International
est une confédération composée de 17 organisations non gouvernementales et indépendantes de même sensibilité qui agissent « contre les injustices et la pauvreté ». Elles travaillent ensemble et en collaboration avec des partenaires locaux répartis dans plus de 90 pays.
Oxfam international s’oppose à la méthode basée sur la production et soutient une méthodologie selon la consommation qui soulignerait la responsabilité d’émissions de CO2 des plus riches
Gupta and Bhandari
dans “An effective allocation criterion for CO2 emissions”, Energy Policy, 27 (1999), pp. 727–736 rappellent que le protocole de Kyoto a mis en place des 15 cibles de limitation des émissions pour les pays de l’Annexe 1. Mais celles ci ne sont pas suffisantes pour sauver la terre du changement climatique. Ils soutiennent que tous les pays devraient prendre des engagements. Pour cela, ils affirment la pertinence d’une approche où l’on comptabiliserait les émissions par habitant. Selon eux, il s’agirait d’une base équitable pour l’attribution des droits d’émission. De manière effective, il est raisonnable de déterminer l’individu comme l’unité de compte étant donné que nous discutons des émissions anthropiques, à savoir celles quisont générées par les humains. En plus d’être équitable, tout critère pour réussir doit pouvoir être efficace et réalisable. Pour être efficaces, les émissions mondiales doivent être limitées à un niveau prédéterminé. Ceci est possible avec la participation la plus large possible de tousles pays, qui inclurait à la fois les pays de l’annexe I et ceux qui ne sont pas dans celle-ci. L’approche doit aussi être souple, pratique et facile à mettre en place, ce qui est le casici. Egalement, en matière d’équité, Gupta and Bhandari propose le concept de la responsabilité «commune mais différenciée». Celui-ci permettrait de lier la taille de la population d’un pays avec le PIB de celui-ci pour déterminer de façon juste ses cibles d’émissions. Ainsi, les considérations d’équité et d’efficacité sont abordées dans l’approche proposée ici.
Neumayer
dans In defence of historical accountability for greenhouse gas emissions, Ecological Economics, 33 (2000), pp. 185–192, défend aussi une mesure des émissions par habitant d’égal à égal avec 16 la responsabilité historique en tant que règle générale d’attribution du droit d’émettre des gaz à effet de serre. La responsabilité historique permettrait de prendre en compte les inégalités historiques dans les émissions par habitant. Plus simplement, cette approche donnerait à chaque être humain une part égale de l’atmosphère, de ressource globale et ces émissions sériaient débités au fur et à mesure de son quotas d’être humain
Thomas Piketty et Lucas Chancel
le rapport Piketty-Chancel a ravivé la controverse sur la 14 comptabilisation du CO2.
Ils tentent de mettre en place une méthodologie davantage basée sur la consommation par classes sociales dans leur rapport. En effet, Les plus pauvres émettent 2 000 fois moins de gaz à effet de serre que les plus riches. En moyenne, 10% des individus sont responsables de près de la moitié des émissions totales tandis que la moitié la plus économe de la population produit moins de 13 % des rejets de CO2. Ils démontrent que les plus grands émetteurs sont aujourd’hui sur tous les continents et qu’un tiers d’entre eux viennent des pays émergent.En effet, ils constatent qu’il y a une forte disparité dans les émissions de CO2 qui est de plus en plus expliqué par des inégalités à l’intérieur des pays plutôt qu’entre pays. Les inégalités intra-pays représentent un tiers de l’inégalité mondiale des émissions de CO2e individuelles en 1998 et représentent aujourd’hui la moitié de cette inégalité. C’est pourquoi ils espèrent l’abandon d’une méthodologie qui reposerait sur l’échelon nationale au profit d’une approche fondée sur les individus et leur niveau de richesse. Cette méthodologie aurait pour but d’appuyer la responsabilité des personnes consommant le plus d’émissions de CO2.
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Notre controverse porte sur
les différentes méthodes de mesure des émissions de CO2
. Depuis une dizaine années, il s’agit en effet d’un sujet qui suscite de nombreux débats au sein de la communauté scientifique et entre les différents acteurs de société civile.
A l’heure actuelle, il existe en effet une méthodologie de comptabilisation officielle préconisée par les instances internationales mais elle fait l’objet d’une remise en cause croissante.
Depuis la
prise de conscience par la communauté scientifique de la responsabilité des activités humaines dans le réchauffement climatique,
il est devenu nécessaire de savoir quantifier les flux de carbone pour mieux les réduire
. La question de la méthodologie de comptabilisation du CO2 est donc centrale mais récente.
On peut la définir comme la méthode de calcul utilisée pour mesurer la quantité de CO2 émis par une région géographique donnée pendant une durée déterminée.
Il existe
deux méthodes principales
pour mesurer les émissions de CO2 :
une méthode fondée sur la production, l’autre sur la consommation
. La méthode fondée sur
la production (base territoriale) prend en compte toutes les émissions liées à ce qui est produit sur le territoire national
, ce qui inclue les exportations mais pas les importations.
Celle fondée sur
la consommation au contraire prend en compte les émissions liées à la consommation domestique
, ce qui inclue ici les importations mais pas les exportations.
Au delà de cette division fondamentale, plusieurs alternatives existent pour prendre en compte d’autres paramètres tels que la démographie ou les classes sociales.
En fait,
un système de comptabilisation uniformisé a déjà été mis en place par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et adopté par les pays lors la signature du protocole de Kyoto en 1997.
Les rapports du GIEC et de l’OCDE sont par la suite venus en préciser les modalités exactes. Enfin, la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC), qui a pour objectif de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, joue également un rôle important pour guider les pays dans la mise en place des inventaires nationaux. C’est dans ce cadre qu’
il a été décidé d’opter pour une méthodologie de comptabilisation fondée sur le principe de production
.
A l’époque en effet, les objectifs affichés étaient ceux de la transparence, de l’exhaustivité, de la cohérence, de la comparabilité et de l’exactitude.
La justification fut donc essentiellement pratique, les pays disposant davantage de données sur leur production domestique que sur la quantité de CO2 consommée dont ils n’avaient que des estimations. Les principaux objectifs étant la transparence, l’exhaustivité, la cohérence, la comparabilité et l’exactitude. Depuis lors, c’est donc ce système de comptabilisation qui a été retenu et qui continue d’être imposé aux pays signataires.
Cependant,
nous avons assisté depuis Kyoto à une montée des contestations concernant l’approche par la production.
Bien qu’ils soient directement impliqués dans les processus de négociation climatique, cette remise en cause ne vient pas de pays qui lésés par le système en place, mais davantage de la communauté scientifique et des associations environnementales (ONG).
Toute une littérature a ainsi émergé pour dénoncer les limites du modèle actuel et proposer des méthodes alternatives, plus juste et plus efficace.
Les raisons invoquées sont nombreuses. Selon ces critiques, l’approche par la production poserait d’abord un problème d’allocation, sa base territoriale empêchant la prise en compte les émissions de CO2 liées au commerce international (transport) Tout le système serait aussi biaisé à cause de fortes incertitudes et des effets désormais bien connus du
carbon leakage qui tend à augmenter les émissions de CO2 dans les pays qui bénéficient de politiques climatiques moins restrictives.
Mais
le principal argument avancé reste celui de l’injustice généré par le système entre pays plutôt producteurs et d’autres, plutôt consommateurs de CO2.
Des études ont en effet montré qu’une part non négligeable de l’augmentation des émissions de CO2 constatée au sein des pays en voie de développement est en fait liée à la demande de produits dans les pays développés. Autrement dit,
la comptabilisation fondée sur la production serait défavorable aux pays qui exportent une large part de leur production de CO2 sans la consommer.
On saisit dès lors les enjeux majeurs posés par notre controverse.
Il s’agit d’étudier et de confronter les arguments des différents acteurs pour comprendre
quels sont les avantages et les limites de chaque méthode comptabilisation
.
Plusieurs paramètres sont à prendre en compte.
Un premier critère, assez pragmatique mais essentiel, est celui de
l’opérationnalité
de la méthode de mesure. Cela signifie simplement qu’
il faut disposer des données suffisantes pour une application effective.
A terme, l’objectif est en effet de mettre en place un cadre uniforme de mesure accessible à tous les pays, peu importe leur niveau de développement. Ensuite, dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique,
il faut une méthode précise
qui rende compte de l’intégralité des flux de carbone à l’échelle globale
, y compris ceux représentés par le commerce international qui constituent une part non négligeable de la quantité totales d’émission de CO2. Par ailleurs, il faut avoir constamment en tête l’idée de
justice
entre les acteurs. On sait en effet que le choix de la méthodologie de comptabilisation n’est pas anodin :
certains groupes de pays ont des intérêts convergents au sein d’un système de comptabilisation plutôt qu’un autre.
La répartition à l’échelle globale des émissions de C02 auquel on aboutit doit être conforme à la réalité car c’est aussi une carte des responsabilités. En ciblant les bons acteurs c’est à dire ceux qui sont effectivement responsables d’importants rejets de C02 dans l’atmosphère, les efforts de réduction porteront davantage leurs fruits.
Faut-il impérativement abandonner la méthodologie de comptabilisation actuelle du CO2 ?
Cette question constituera l’axe véritablement directeur de notre investigation.
Elle nous amènera tout d’abord à nous interroger sur les
critères objectifs d’évaluation d’une méthodologie de comptabilisation.
Quels paramètres faut-il concrètement prendre en compte pour juger de la pertinence d’une méthode? Ensuite, il nous faudra de faire un
état des lieux des principales méthodes de comptabilisation de CO2 à l’heure actuelle.
Ceci inclue le système de comptabilisation actuel basé sur le principe de production, mais aussi les nouvelles méthodes qui ont émergé dans la littérature scientifique et qui se présentent aujourd’hui comme des
alternatives réalistes.
Il faudra non seulement les recenser mais aussi les analyser et comprendre dans le détail leur principe de fonctionnement. Enfin, l’étape majeure de notre étude consistera à
explorer l’argumentaire des différents acteurs pour identifier quels les avantages et les limites respectives de chaque méthode comptabilisation.
Ce travail de confrontation nous permettra de saisir toute la complexité de la controverse et, éventuellement, d’en
proposer des pistes de résolution potentielles.
Nous avons décidé d’articuler nos questions de recherche en fonction de la progression aujourd’hui envisagée pour notre présentation finale.
Ce questionnement progressif et inductif nous permettra de saisir tous les pans de notre sujet en essayant de représenter au mieux la controverse que nous étudions.
Suivant les guidelines en matière d’inventaire nationaux du GIEC, il s’agit de la
méthode officielle
du GIEC approuvée par les instances internationales
(cliquer pour historique du choix de cette méthode)
lors de la conférence de Kyoto en 1997. Elle
vise à mesurer toutes les émissions directement émises sur un territoire par l’ensemble des acteurs, répartis par secteurs d’activités.
Pour ce faire, chaque type d’activité réalisé dans la zone géographique est associé à un facteur d’émission, c’est-à-dire
un facteur qui permettra d’évaluer la quantité de CO2 émise lors de cette activité.
Grâce à des équations déjà calculée par le GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat)
(cliquer pour détail sur la méthode par la production et les facteurs d’émissions)
et rendus disponible à tous les pays, il suffit ainsi de mesurer le type et le nombre d’activité sur le territoire et de le multiplier par le facteur correspondant, puis d’additionner tous les résultats obtenus : on obtient alors la quantité de CO2 émise. Par exemple, on sait que la combustion d’un kWh de fioul génère 270g de CO2 contre 201g pour un kWh de gaz naturel. En répertoriant les quantités de fioul consommées sur un territoire tel que la France, on calcule alors le CO2 associé. Plus concrètement,
la méthode consiste à utiliser des matrices « input-output » en fonction du trajet du produit ou de l’activité.
Le grand avantage de cette méthode est donc le fait qu’
il n’est pas nécessaire d’avoir des instruments de mesures de CO2 pour réaliser son inventaire.
Les méthodes/matrices/facteurs d’émissions sont fixées et régulièrement améliorées par le GIEC pour être utilisé par chaque pays. Ainsi, au niveau mondial,
les inventaires des émissions de CO2 découlent de la succession d’inventaires nationaux, eux-mêmes découlant de la succession d’inventaires locaux.
Il faut en effet savoir que si c’est le GIEC qui fixe les règles pour le calcul des émissions de CO2, chaque inventaire national est confié à une instance environnementale du pays en question. Par exemple,
en France, c’est le Citepa qui s’en charge (Le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique).
La première limite de la méthodologie de comptabilisé du CO2 selon la production repose sur le
haut degré d’incertitude
due à la variabilité des processus dans les espaces et dans le temps.
Tous les pays n’ont pas eu les moyens de s’approprier les modèles préconisés par le GIEC en même temps. Nous pouvons par exemple citer les travaux de Rydpal et Winiwater dans lequel ils calculent l’incertitude des inventaires de GES dans 12 pays industrialisés. Le résultat de cette étude montre que
l’incertitude va de 5 à 20%.
Or
cette importante incertitude est un obstacle pour mettre en place des politiques de réduction des émissions de dioxyde de carbone mais également pour concevoir un système de commerce du carbone comme le prévoyait le protocole de Kyoto.
Ainsi nous voyons que cette méthode peut être remise en question selon un
critère d’application internationale.
Par ailleurs, une autre limite de la méthode de comptabilisation par la production est qu’elle
omet les émissions liées au commerce internationale
tels que le transport. En effet, actuellement les inventaires nationaux ont été réalisées afin de rendre compte de l’impact d’un pays ou d’un système de production. Si l’on considère la situation des pays industrialisés, à savoir celle d’une nation qui importe une grande quantité de produits commercialisables, différentes méthodes de décompte du CO2 peuvent être adoptées. La première approche, qui a été proposée par le GIEC,suggère simplement l’application d’une approche géographique. Selon celle-ci,
la comptabilisation ne tient compte que des émissions de CO2 directement impliquées dans chaque secteur de la nation analysée dans les limites des frontières du pays.
Dans ce cas,
la contribution aux émissions mondiales de CO2 est évaluée pour chaque source d’émission au niveau local sans inclure, par exemple, la combustion de combustibles indirectement liés au système, tels que le transport.
Ceci est la méthode actuelle adoptée par souci de simplicité. Pourtant cette méthode n’est
pas complètement juste
. Si l’on considère maintenant la situation du pays qui exportent ces marchandises sans les transformer, le constat paradoxal est que ce pays a alors un niveau d’émission de CO2 très faible. Au contraire, un pays qui produit des biens pour un autre pays aurait à payer pour le CO2 associé à des produits qu’ils ne consommeraient pas. Ce fait est encore plus évident lorsque le transport est considéré. De manière effective, un pays qui voit sur son territoire un important flux de camions a un montant d’émission de CO2 sur son territoire élevé alors même qu’il ne produit ou ne consomme pas ces produits. Au contraire, un pays où ces mêmes produits sont utilisés se voit attribuer une quantité de CO2 pour le transport qui peut être négligeable.
La méthodologie de comptabilisation du CO2 basée sur la consommation
prend en compte les émissions liées à la consommation
par unité de mesure et sont
calculées en additionnant les émissions découlant de la production et les émissions incorporées dans les importations nationales et en soustrayant les émissions incarnée dans les exportations
. Traditionnellement,
les émissions de CO2 sont réparties entre les différents pays selon les quantités émises sur un territoire donné pendant une année
. Mais
d’autres alternatives de comptabilisation par la consommation envisage une unité de mesure différente de l’échelle nationale
, que ce soit
à travers l’individu ou la classe sociale.
Comptabilisation du CO2
selon l’échelle nationale
La comptabilisation des émissions de CO2 à travers l’échelle nationale est une méthode qui tend à inverser les données des inventaires nationaux qui se concentrent actuellement vers la production pour favoriser le recueil de données sur les consommateurs. Le changement de méthodologie a pour but de responsabiliser les consommateurs mais surtout de
favoriser l’équité entre les pays producteurs et les pays consommateurs.
La Deutsches Institut für Entwicklungspolitik, dans son article Counting CO2 in a globalised world, montre que
la méthodologie par la consommation à l’échelle nationale, comparée à celle actuelle sur la production,
fournit une base plus équitable pour le partage des responsabilités environnementales entre les pays producteurs et consommateurs.
En effet, ce rapport souligne que
les pays du G77 consomment 23% de moins que les émissions de CO2 qu’ils produisent alors que les pays de l’OCDE consomment près de 30% plus d’émissions de CO2 qu’ils produisent.
De plus cette méthode présente
l’avantage de mesurer véritablement l’impact des politiques publiques visant à la réduction des émissions de CO2 à la différence de la méthode actuelle basée sur la production.
En effet, les résultats publiées par le GIEC affiche une réussite des politiques des pays de l’annexe 1 avec la méthode de comptabilisation actuelle. Or un quart des émissions qui ont augmenté dans les pays émergent (non présent dans l’annexe 1) entre 1995 et 2005 a été causée par la consommation dans les pays de l’annexe I. Les politiques environnementales n’ont donc pas permis de réduire les émissions mais bénéficié du contexte de mondialisation et de délocalisation des années 90 qui a déplacé les émissions vers les pays n’ont pris en compte par le protocole de Kyoto.
La méthode de comptabilisation par la consommation permettrait de responsabiliser les consommateurs.
Comptabilisation du CO2
selon la consommation par habitant.
L’utilisation de la méthode de comptabilisation des émissions de dioxyde de carbone par habitant
se justifie naturellement par l’actuelle non considération de la démographie d’un pays dans sa responsabilité climatique.
Or
il est évident qu’à niveau de vie égal, un pays très peuplé consommera plus de CO2 qu’un pays peu peuplé.
A titre d’exemple,
la Chine émet plus d’émissions de CO2 liées à la production que les Etats-Unis depuis 2007.
Toutefois rapporté aux habitants,
un Chinois rejette en moyenne seulement la moitié des émissions d’un Américain du Nord.
En moyenne,
un habitant d’un pays figurant parmi les plus riches et les moins peuplés
(par exemple, les pays d’Europe de l’Ouest)
importe la même quantité de CO2 qu’émettent 5 à 10 habitants en Chine.
Cette comptabilisation est défendue par Gupta and Bhandari mais aussi Neumayer.
Comptabilisation du CO2
selon la consommation par classe sociale.
La comptabilisation du dioxyde de carbone par classe sociale est une méthodologie par la consommation mais qui serait basée non
pas par habitant d’égal à égal mais selon la richesse de l’habitant au sein de son pays.
La pertinence de cette méthode est lié au fait que les plus pauvres émettent 2000 fois moins de gaz à effet de serre que les plus riches.
En moyenne, 10% des individus sont responsables de près de la moitié des émissions totales tandis que la moitié la plus économe de la population produit moins de 13 % des rejets de CO2.
Ainsi, les plus grands émetteurs sont aujourd’hui sur tous les continents et un tiers d’entre eux viennent des pays émergent. C’est ce que soutiennent aujourd’hui Lucas Chancel et Thomas Piketty, constatant une forte disparité dans les émissions de CO2 qui est de plus en plus expliquée par des inégalités à l’intérieur des pays plutôt qu’entre pays.
Les inégalités intra-pays représentent un tiers de l’inégalité mondiale des émissions de CO2
individuelles en 1998 et représentent aujourd’hui la moitié de cette inégalité. C’est pourquoi ils espèrent l’abandon d’une méthodologie qui reposerait sur l’échelon nationale au profit d’une approche fondée sur les individus et leur niveau de richesse.
Cette méthodologie aurait pour
but d’appuyer la responsabilité des personnes consommant le plus d’émissions de CO2.
A cet égard, le résultat de cette étude montre que
les Nords-Américains pourraient prendre en charge 46 % de la contribution totale, pour 16 % pour les Européens et 12 % pour les Chinois
ou si on applique une responsabilité individuelle visant à faire payer seulement les 1 % les plus pollueurs, les proportions s’établiraient respectivement à 57 %, 15 % et 6 %. Dans tous les cas, l’apport de l’Europe, même s’il diminue proportionnellement, augmenterait par rapport à aujourd’hui. Une autre portée de l’étude serait de responsabilisé les individus utilisant l’avion (par l’instauration d’une taxe) mais cela ciblerait moins bien les grands émetteurs individuels.
De même, Oxfam international s’oppose à la méthode basée sur la production et soutient une méthodologie selon la consommation qui
soulignerait la responsabilité d’émissions de CO2 des plus riches.
Exploitation des données du Carbon Atlas
Intérêt du Global Carbon Atlas
Le Global Carbon Project est un effort communautaire mis en place par le Earth System Sciences Partneship en 2001. Il s’agit de favoriser la coopération internationale en matière de recherche sur le cycle du carbone. Le projet met en relation de nombreux laboratoires de recherche et de scientifiques à travers le monde. L’équipe comprend des experts du climat mais aussi des ingénieurs et des économistes. Ces acteurs travaillent à quantifier les flux de carbone. Dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, l’ambition est d’améliorer la prise de décisions politiques pour limiter les émissions de CO2.
Dans ce cadre, le Global Carbon Atlas a été crée en 2013. C’est une plateforme internet qui permet d’accéder à une quantité importante de données relatives aux émissions de CO2. L’avantage du site est de proposer une approche dynamique et pluridisciplinaire : il synthétise les résultats de nombreux contributeurs internationaux tout en mettant à la disposition des utilisateurs plusieurs outils interactifs pour les visualiser. J’ai choisi de travailler essentiellement sur la composante « Emissions » qui permet de représenter la répartition des émissions du carbone selon plusieurs paramètres :
-la méthode de comptabilisation : on peut notamment choisir d’étudier les émissions produites ou consommés. On peut aussi prendre en compte la richesse ou la démographie des pays
-les pays : on peut choisir d’étudier les pays de son choix. Le site permet aussi de trier les pays par groupes prédéfinis : continents, zones économiques (ex : OCDE), politiques (ex : Union Européennes).
-la période : la base de données remonte jusqu’aux années 60. Elle est fréquemment actualisée pour prendre en compte les résultats les plus récents.
Une fois que l’on a fixé tous ces paramètres, il existe plusieurs méthodes de représentations : cartes ou graphiques globaux, graphiques individuels ou comparés, classements en bande…
Pour la controverse, l’intérêt de cette méthode numérique est donc réel. La densité et la richesse de la base de données permettent d’avoir une idée précise de la répartition des émissions de CO2 en fonction de la production mais aussi de la consommation, ce qui est très rare sur le WEB car techniquement beaucoup plus difficile à calculer. Ensuite, la complexité du réglage et la diversité des outils de visualisation permettent non seulement de représenter mais aussi de classer et de comparer les pays entre eux. On peut ainsi véritablement confronter les deux approches et, avec les groupes prédéfinis proposés par défaut, faire émerger des groupes d’acteurs qui ont des intérêts différents en bénéficiant davantage d’une méthode de comptabilisation ou d’une autre. Enfin, l’évolution de la répartition au cours du temps que l’on peut suivre grâce à la timeline de l’atlas est aussi une manière de suivre l’évolution de notre controverse puisque les écarts de répartition entre les deux méthodes sont aussi révélateurs du degré d’intensité de la controverse.
Présentation des résultats obtenus
Le but de cette section est d’utiliser les fonctionnalités du Global Carbon Atlas pour montrer que derrière le consensus sur l’augmentation globale des émissions de CO2 à l’échelle mondiale, le choix de la méthode de comptabilisation modifie de manière de plus en plus significative la répartition entre pays. En affinant les réglages, on fera ainsi apparaître des groupes d’acteurs bien distincts au sein de la controverse.
Les émissions de CO2 ont augmenté significativement à l’échelle globale ces cinquante dernières années. Entre 1962 et 2014, les émissions de carbone sont passées de 9842 MtC02 à 35890 MtCO2, c’est à dire qu’elles ont été multipliées par un facteur proche de 4.
Au sein de chaque pays, on observe un écart dans la quantité d’émissions de CO2 selon la méthode comptabilisation.
Celui-ci est bien visible si l’on utilise l’outil focus pour étudier les données au sein d’un pays ou les comparer entre deux pays. Sur les graphiques suivants, on a mis en évidence cet écart pour quelques pays en 2013. Pour la Chine par exemple, les émissions sont de 9569 MtCO2 sur une base de production, contre 8270 sur une base de consommation. Néanmoins, cet écart n’existe pas toujours dans le même sens. En témoignent, les cas de la France et des États-Unis dont les émissions sont plus importantes sur une base de consommation : les émissions de la France sont de 365 MtC02 sur une base de production contre 475 MtCO2 sur une base de consommation ; de même pour les États-Unis avec 5514 MtC02 contre 5869 MtC02.
On peut déjà remarquer que cet écart au sein de chaque pays entre la quantité d’émissions produites ou consommées, peu importe sa nature, a eu tendance à s’accentuer avec le temps.
Ainsi, si l’on reprend l’exemple des pays précédents pour l’année 1990, date la plus ancienne pour laquelle on a des données sur les émissions lié à la consommation, on constate que ces écarts sont beaucoup plus faibles avec des quantités d’émission beaucoup plus proches entre les deux systèmes de comptabilisation. Pour la Chine, il y a 2459 MtC02 d’émissions produites contre 2299 émissions consommées, soit un écart de 160 MtCO2 en 1990 contre 1299 MtC02 en 2013. De même, les écarts sont de 101 MtC02 en 1990 contre 110 MtC02 en 2013 pour la France et surtout de 73 MtC02 contre 355 MtC02 pour les États-Unis. Mis à part pour ce dernier pays, les écarts ont en revanche tendance à conserver leur nature au cours du temps.
Dès lors, on peut utiliser les groupes prédéfinis pour affiner les réglages et faire apparaître des groupes d’acteurs dont les membres ont des intérêts convergents. En effet, il semble exister deux types de profils : les pays dont les quantités d’émissions produites sont supérieurs à celles consommées et inversement, les pays dont les quantités d’émissions produites sont inférieures à celles consommées. Les premiers sont essentiellement les pays émergents et ceux en voie de développement (ex : pays membre des BRICS et RDM), tandis que les seconds incluent en majorité les pays développés (ex : pays membres de l’OCDE). Cette observation apparaît de manière claire en étudiant comment évolue le poids de chaque pays dans les émissions globales selon qu’on opte pour un système de comptabilisation fondé sur la production ou la consommation.
Dans les cartes ci-dessous, on a sélectionné uniquement les pays membres de l’OCDE. Il est flagrant de constater qu’en passant des émissions produites à celles consommées, les aires des disques correspondant au poids de chaque pays s’agrandissent de manière significative.
Au contraire, en sélectionnant les pays non-membres de l’OCDE, on constate qu’en passant, cette fois-ci, des émissions consommées à celles produites, on constate que les aires des disques ont tendance à augmenter et surtout que de nombreux nouveaux points correspondant à des petits pays deviennent désormais visibles sur la carte.
On comprend dès lors que ce changement de poids des pays dans la quantité d’émissions de CO2 globale lorsqu’on passe de la production à la consommation aboutit à une carte des répartitions différentes entre les pays. Même si l’on n’observe pas de changement de rang significatif dans l’outil de visualisation chart view au sein du top 10 (ranking), le poids de chaque acteur donc leur responsabilité induite se trouve significativement modifié.
Là encore, si l’on compare à la situation de 1990, on constate que ces écarts entre les pays ont eu tendance à s’accentuer.
III. Application à la controverse
De cette étude, on peut tirer plusieurs enseignements utiles pour notre controverse.
Tout d’abord, on a pu mettre en évidence deux groupes d’acteurs majeurs de la controverse. En effet, grâce aux outils de visualisation du Global Carbon Atlas, il apparaît que le système de comptabilisation détermine la répartition effective des émissions de CO2 entre les pays : sans changer fondamentalement le rang des pays, il influence significativement le poids de chaque pays. Parce que certains pays produisent plus de CO2 qu’ils n’en consomment et inversement, parce que certains pays consomment plus de CO2 qu’ils n’en produisent, on peut en fait associer à chaque méthode de mesure un groupe d’acteurs qui possèdent des intérêts convergents : tous les pays du groupe ont alors intérêt à privilégier une méthode plutôt qu’une autre, car celle-ci les avantage en réduisant les émissions dont ils sont considérés comme responsables. L’utilisation de la map view a ainsi montré que les pays membres de l’OCDE et, plus globalement, les pays développés sont avantagés par une comptabilisation basée sur la production car ils importent une part importante de biens et de services sur leur territoire. Au contraire, il semble que les pays non-membres de l’OCDE, et, plus globalement, les pays émergents ou en voie de développement appartenant aux catégories des BRICS et RDM, auraient plutôt intérêt à favoriser une comptabilisation fondée sur la consommation car ils exportent une large part de leur production vers les pays développés. Entre ces deux groupes centraux, il existe d’autres acteurs intermédiaires, organisations supranationales ou associations non-gouvernementales, avec un rôle dont on pourrait espérer qu’il soit à terme celui d’un arbitre. En effet, l’objectif de ma recherche a aussi été de montrer que l’enjeu de la controverse est de dépasser ces clivages entre intérêts contraires pour mettre davantage en valeur dans le débat les arguments scientifiques et aboutir à une répartition qui colle le plus justement aux responsabilités de chaque pays.
Un autre apport de cette étude est de nous renseigner sur ce qui est l’un des points de crispations majeur de notre controverse, à savoir la prise en compte ou nom des émissions liés aux échanges internationaux dans la comptabilisation officielle. La prise en compte de ce facteur est récente. Avec l’accroissement du commerce mondial, on s’est aperçu que l’augmentation globale des émissions de C02 dans le cadre d’une comptabilisation basée sur la production masquait en fait deux évolutions paradoxales : une stabilisation relative des émissions produites au sein des pays développés et une croissance fulgurante au sein des pays en voie de développement. En fait, il a été montré qu’une part non négligeable de cette augmentation au sein des pays en voie de développement servait à nourrir la demande des pays développés. On sait que ce phénomène est actuellement renforcé par ce qu’on appelle le carbon leakage qui tend à augmenter les émissions de CO2 dans les pays qui bénéficient de politique climatiques moins restrictives. Aujourd’hui, c’est cette importance prise par le commerce international qui explique les écarts significatifs observés au travers de cette étude entre une répartition basée sur le principe de production et celui de consommation. En même temps, cet enseignement a pour mérite d’ouvrir des voies possibles de résolution de la controverse. Une piste fréquemment envisagée serait de créer un système hybride intégrant à la fois les importations et exportations, où les émissions ne seraient donc pas pris en charge exclusivement par les pays exportateurs (base de production), ni exclusivement par les pays importateurs (base de consommation) mais partagés équitablement entre tous les acteurs. Dans tous les cas, une meilleur prise en compte du commerce international s’avèrera essentielle dans le cadre de la réduction des émissions de CO2.
Enfin, on peut tirer de cette étude une ébauche de chronologie de notre controverse. En effet, on a vu en manipulant la timeline que l’écart entre les quantités d’émissions produites et consommés, donc l’écart de répartition des émissions de CO2 à l’échelle globale, s’est accru avec le temps. Cette accentuation peut s’interpréter comme une prise d’importance des échanges internationaux entre les pays mais aussi comme un renforcement des inégalités générés par la comptabilisation actuelle. Ainsi, cette évolution pourrait être le signe d’une montée des contestations de la part du groupe constitué par les pays émergents et ceux voie de développement, lesquels seraient de plus en plus lésés par la base territoriale du système. En ce sens, la température de notre controverse n’a fait qu’augmenter depuis sa naissance : elle n’aurait jamais été aussi chaude qu’à l’heure actuelle.
Des profils de pays différents
Cliquer pour afficher le graphique
Les résultats que présente la figure ci-dessous permet de dégager deux types de régions avec deux types de dynamiques de 1995 à 2009. Tout d’abord, nous pourrions diviser ces pays en deux catégories :
1. « pays consommateurs de CO2 »
: (encadré : soit les pays développés, intégrant l’Union Européenne (et spécifiquement l’Europe des 15) ainsi que les pays de l’OCDE dans lesquels les émissions liées à la production que les émissions importées)
2. « pays producteurs de CO2 »
: (encadré : pays en voie de développement (BRIC) et dans une moindre mesure l’ensemble des autres pays non cités dans lesquels les émissions intégrées dans les exportations sont beaucoup plus élevées que les émissions intégrées dans les importations.)
Plus précisément, en 1995 dans l’Union Européenne, les émissions de CO2 basées sur la méthode de consommation étaient 11 pourcents supérieurs aux émissions liées à la méthode par la production. Ce surplus de consommation de CO2 a atteint 24 pourcents en 2008 avant de basculer à 19 pourcents juste après la crise économique. Inversement, même si les émissions de CO2 liées à la consommation ont fortement augmenté entre 1995 et 2009 dans les BRIC (passant de 4,7GtCO2 à 8,4 GTCO2), ces pays restent largement les principaux « producteurs de CO2 ».
On peut également ajouter à cela qu’on observe une forte tendance de divergence des deux groupes de pays au cours du temps. Depuis 1995, le fossé entre le CO2 consommé et le CO2 produit a augmenté continuellement dans l’UE, l’OCDE et les BRIC.
Source : World Input Output Database (WIOD) - CO2 emissions production-based accounting vs consumption : Insights from the WIOD databases, B. Boitier
L’objectif de notre étude est de comprendre pourquoi la méthodologie de comptabilisation officielle fait l’objet d’une controverse.
Autrement dit,
nous nous interrogeons sur sa pertinence par rapport aux différentes alternatives actuelles.
Cela implique d’effectuer un travail de comparaison pour identifier quels sont les avantages et limites respectives de chaque méthode.
Or
une telle approche passe nécessairement par la définition de critères d’évaluations.
En effet,
il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises méthodes en absolu, seulement des méthodes plus adaptées par rapport à un certain objectif recherché.
Il est d’ailleurs intéressant de mettre en perspective ces critères d’évaluations avec les intérêts et, plus largement, les positionnements des acteurs dans la controverse. En effet, tous les critères peuvent être considérés comme légitimes :
la position d’un acteur vis-vis d’une méthode de mesure signifie simplement qu’il valorise davantage un ensemble de critères plutôt qu’un autre, en fonction de ses intérêts.
Ce processus de sélection et de hiérarchisation l’amène à défendre la méthode qui est la plus satisfaisante compte tenu des critères qu’il a choisi de privilégier.
Ainsi, en répétant l’analyse pour chaque critère, nous parvenons à cartographier la controverse dans toute son étendue et sa complexité.
Opérationnalité
:
Il faut que les
données soient suffisamment accessibles et interprétables
dans
une double perspective de transparence et de comparaison transnationale.
Avantages par la production
:
Or il est clair qu’
actuellement, compter les émissions sur une base de production nationale ne pose pas de difficultés particulières.
Le système de découpage territorial par pays est simple
et l’
on peut utiliser les outils classiques de comptabilisation nationale.
On dispose ainsi de
beaucoup de données pour quantifier le poids carbone de chaque secteur d’activité.
Limites par la consommation
:
Au contraire,
l’approche par la consommation requiert des données plus nombreuses et plus complexes, relatives au commerce international.
Il faut non seulement
analyser en détail la structures des balances commerciales nationales mais aussi être en mesure de tracer les produits à travers les échanges internationaux
, ce qui est particulièrement difficile dans le cadre de la division internationale des processus de production. Il faut ainsi passer par des tableaux d’entrées-sorties qui nécessite une quantité de travail en amont nettement supérieure. En outre, il faut insister sur la difficulté d’initier un changement d’approche méthodologique. Les guidelines du GIEC en matière d’inventaires nationaux ont posé un cadre méthodologique sur la base duquel les pays ont beaucoup travaillé pour développer des outils de mesure adéquats. Les données se sont accumulées d’années en années et l’on dispose aujourd’hui d’une expérience et d’un recul suffisant pour observer des évolutions à travers le temps et comparer entre les pays.
Abandonner cette méthode pour la consommation nécessiterait de tout recommencer
, ce qui rendrait beaucoup moins utile le travail déjà accompli. En outre, cela représenterait un coût économique significatif, d’autant plus que
beaucoup de temps a déjà été investi lors des sommets internationaux et auprès des organismes nationaux pour aboutir à la méthodologie actuelle.
C’est une forme de légitimation et de consolidation par le temps (path depedency) qui rend de plus en plus difficile une évolution de la méthodologie de comptabilisation.
Ainsi le critère d’opérationnalité joue plutôt
en faveur de la méthodologie actuelle
même si l’écart tend aujourd’hui à s’amoindrir.
Le
soutien du GIEC et des Etats à la méthodologie de comptabilisation actuelle
se justifie principalement par le critère d’opérationnalité.
En effet, dès l’adoption par le GIEC des toutes premières lignes directrices en 1994 puis au cours de leur discussion par les Etats lors des négociations internationales,
les principaux objectifs affichés ont été ceux de la «consistance, la transparence et la comparabilité»
entre les inventaires nationaux. La priorité était de
s’adapter à l’expérience et à la disponibilité des donnés dans chaque pays.
Il fallait avant tout
établir un cadre méthodologique uniforme
et éviter au maximum le recours à des estimations dans les pays ou des données trop complexes auraient pu être quantitativement et qualitativement insuffisantes.
En qui concerne
les articles scientifiques
qui ont été publiés
pour défendre l’idée d’une approche par la consommation
, il est clair que le souci pragmatique de l’opérationnalité était moins central
, d’autant plus qu’à la différence des décideurs politiques, les auteurs n’avaient pas nécessairement une connaissance aussi importante des bases de données à disposition des pays.
Précision
:
Il faut chercher à
limiter les approximations et les incertitudes
pouvant conduire à une incertitude telle qu’il y a décalage trop important entre les quantités mesurées et la réalité.
L’efficacité des politiques de réduction d’émissions de CO2 en dépend fortement.
Limites par la production
:
Mais
la méthodologie par la production est loin d’être sans incertitude
. Il faut d’une part insister sur la limite principale : il s’agit d’un problème d’un problème d’allocation.
La base territoriale sur laquelle ont été établis les inventaires nationaux empêche la prise en compte les émissions de CO2 liées au commerce international
, par exemple, la combustion de combustibles indirectement liés au transport. Le système est aussi biaisé à cause des effets désormais bien connus du carbon leakage qui tend à augmenter les émissions de CO2 dans les pays qui bénéficient de politiques climatiques moins restrictives. D’autre part,
tous les pays n’ont pas eu les moyens de s’approprier les modèles préconisés par le GIEC en même temps.
Nous pouvons par exemple citer les travaux de Rydpal et Winiwater dans lequel ils calculent l’incertitude des inventaires de GES dans cinq pays industrialisés. Le résultat de cette étude montre que
l’incertitude va de 5 à 20%.
Or
cette importante incertitude est un obstacle pour mettre en place des politiques de réduction des émissions de dioxyde de carbone
mais également pour concevoir un système de commerce du carbone comme le prévoyait le protocole de Kyoto.
Limites par la consommation
:
Il est
dans un premier temps logique de considérer que l’approche par la consommation est la plus incertaine
, étant donné qu’il n’y a pas de cadre officiel de mesure et surtout, uniformisé à l’échelle international.
Et en effet,
nous avons remarqué une variation importante des résultats obtenus selon les différents rapports étudiés.
Par exemple, tandis une étude parue en mars 2010 dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) soutient les pays européens sont les plus grands consommateurs de C02, le récent rapport Piketty-Chancel place les États-Unis en tête. Cependant, il faut nuancer ce constat car il est clair que la diversité actuelle des approches s’explique par le fait qu’il ne s’agit pas d’une méthodologie officielle préconisée par le GIEC :
rien n’implique qu’il sera impossible de trouver un accord international la-dessus.
Ainsi, tous les acteurs se renvoyant un peu la balle pour critiquer le manque de précision de chaque méthode. Il est donc
difficile de réellement trancher en terme de degré de précision entre les deux méthodologies de comptabilisation
.
Au niveau de la précision, tous
les acteurs de la controverse se renvoient un peu la balle pour pointer les incertitudes des méthodes qu’ils rejettent à l’heure actuelle
. D’une part,
les Etats et le GIEC n’ont pas opté pour une approche par la consommation en partie à cause du degré d’incertitude qu’on lui associait.
Aujourd’hui encore,
certains rapports du GIEC recourent à une stratégie de decrédibilisation des alternatives actuelles
pour souligner la quantité d’approximations que cela implique de faire. Pour le GIEC, c’est aussi une manière de légitimer le choix actuel de maintenir la méthodologie officielle.
De l’autre côté,
certains articles scientifiques et des rapports d’associations environnementales cherchent à remettre en cause l’idée selon laquelle la méthodologie officielle serait exempte d’imprécisions et d’incertitudes
. Une partie non négligeable de la littérature insiste sur
le problème des «non-embodied emissions» lié au commerce international, qui constitue effectivement la limite principale de la méthodologie actuelle.
Justice
:
Il s’agit d’une forme de
cohérence entre la responsabilité réelle des pays dans la quantité globale d’émissions de C02 et les efforts de réduction d’émissions de C02 qu’on leur attribue
. Il y a là aussi
un lien direct avec l’efficience des politiques climatiques
puisqu’
en ciblant les bons acteurs c’est à dire ceux qui sont effectivement responsables d’importants rejets de C02
dans l’atmosphère,
les efforts de réduction porteront davantage leurs fruits.
Limites par la production
:
Or il est clair qu’à cet égard,
la méthodologie officielle est largement critiquée
. En effet,
seule la production sur le territoire national est actuellement prise en compte
, c’est à dire les exportations et non les importations
au niveau de la balance commerciale.
Un pays qui produit des biens pour un autre pays est considéré comme responsable du CO2 émis alors qu’il ne consomme pas ce bien.
De même,
un pays au sein duquel a lieu un trafic de biens important (transport) est pénalisé alors qu’il ne bénéficie pas de l’utilisation de ces biens.
A une échelle globale, il y a donc
une injustice entre pays plutôt producteurs et d’autres, plutôt consommateurs de CO2.
Ainsi, des études ont montré qu’une part non négligeable de l’augmentation des émissions de CO2 constatée au sein des pays en voie de développement est en fait liée à la croissance demande de produits dans les pays développés. Il est donc clair qu’historiquement,
les pays industrialisés sont les premiers responsables de l’accélération du transfert international d’émissions de C02 et des niveaux actuels particulièrement élevés.
Avantages par la consommation
:
Une évolution de la méthodologie de comptabilisation vers une approche orientée sur la consommation présenterait l’
avantage de mettre davantage en évidence cette responsabilité historique des pays développés
.
Cela fournirait une nouvelle base d’échanges entre pays,
pour une répartition plus juste et plus équitable des efforts à fournir
par chacun d’entre eux.
Sur cet aspect de justice climatique, la balance penche donc indéniablement
pour une méthodologie fondée sur la consommation.
Les revendications de justice proviennent moins des Etats que de la société civile et de la communauté scientifique.
Pourtant, les intérêts des Etats sont réels, selon qu’il pays plutôt producteurs ou consommateurs de C02.
Il y a certaines prises de positions assez frontales d’Etats comme celle de l’
Inde qui remet fortement en cause la méthodologie actuelle.
Cependant,
la tendance est plutôt celle d’un accomodement chez les Etats
, un silence relatif qui peut s’expliquer par la prédominance des pays occidentaux au sein des instances internationales :
ils auraient la main mise dans les négociations et verrouilleraient les choix méthodologiques en fonction de leur intérêts
, en l’occurrence l’approche par la production qui leur est beaucoup plus favorable.
Une autre cause potentielle a récemment été mise en évidence par le dernier rapport Picketty-Chancel : les inégalités d’émissions de CO2 ne sont plus vraiment déterminées par les inégalités entre les pays mais surtout au sein des pays, ce qui justifierait des politiques ciblant des grands émetteurs à l’échelle individuelle et pas nationale, par exemple une taxe internationale sur les billets d’avion ou encore un impôt carbone progressif en fonction des richesses. Aussi,
le rejet le plus visible s’exprime à travers des articles scientifiques, des rapports d’associations environnementales, et d’autres textes politiquement engagés.
Ces acteurs mettent en avant
la responsabilité historique des pays développés dans l’accélération des transferts d’émissions de C02 et le verrouillage actuel d’une méthode qui leur est favorable.
Ils soulignent l’intérêt qu’il y a de responsabiliser le consommateur au niveau individuel, à la fois en terme d’incitation à s’orienter vers des modes de production plus propres et d’efficience des politiques climatiques à long-terme.
La controverse sur la méthodologie de comptabilisation des émissions de CO2 est particulièrement chaude aujourd’hui.
Dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique,
on peut situer ses premiers balbutiements au moment où les acteurs prennent conscience de la nécessité de réduire leurs émissions de CO2.
Dès le départ en effet, la mise en application pratique des engagements internationaux va soulever d’importantes contestations.
Pour aller un peu plus loin, voici un premier travail d’
analyse de données numériques et qualitatives que nous avons réalisé
pour mieux suivre l’évolution de notre controverse depuis son émergence au milieu des années 90 jusqu’à nos aujourd’hui :
Ce graphique illustre un aspect très intéressant :
l’actualité de notre controverse à travers le temps ainsi que la légitimité de cette dernière pour les acteurs scientifiques.
En effet, on peut voir sur ce graphique que le corpus présente le plus de publication en 2014, soit il y a deux ans. De plus, le nombre de publications a commencé à être significatif réellement qu’à partir de 2006 (date à laquelle on peut observer une augmentation assez constante du nombre de publications jusqu’à aujourd’hui). On sait que le protocole de Kyoto a été signé le 11 décembre 1997, mais son entrée en vigueur a eu lieu seulement 8 ans plus tard, le 16 février 2005. On peut donc émettre l’hypothèse suivante : une période de flou s’est installé sur la manière dont les mesures de CO2 allaient être réalisées jusqu’à la mise en application du protocole, empêchant donc la communauté scientifique d’exprimer un avis avant cette date. L’autre hypothèse est de considérer que c’est la mise en application du protocole de Kyoto a permis de montrer expérimentalement les failles de la méthode préconisée, ce qui a soulevé plusieurs critiques de la communauté scientifique à partir de 2005. On peut ainsi dire que
notre controverse n’est devenu chaude qu’au fur et à mesure de la mise en application directe du protocole et a atteint son point de culminance récemment.
L’analyse des mots clés des différentes publications de notre corpus en fonction des années (réalisée grâce à l’outil « Keywords over time ) vient soutenir notre hypothèse. En effet, on voit une évolution des mots clés vers des termes plus précis. C’est ainsi que le terme « input-output analysis » qui exprime l’opposition des deux méthodes de comptabilisation principales (celle selon la production et l’autre selon la consommation) apparaît seulement à partir de 2005 (dans 4 publications de notre corpus) ce qui correspond à la date de mise en vigueur du protocole de Kyoto. On conserve ici bien l’idée d’une actualité progressive de notre controverse à partir de cette date.
Un des enjeux essentiels de notre controverse est celui du
«path depedence» ou «dépendance au sentier»
. Il s’agit d’
une théorie en sciences sociales qui explique le poids de l’habitude
, ce que Weber avait déjà compris en analysant le mode de légitimité traditionnelle. Cela permet d’
expliquer comment un ensemble de décisions passées peut influer sur les décisions futures
avec l’idée que des particularités historiques
, justifiées à une époque mais qui ont cessé d’être optimales ou rationnelles, peuvent perdurer parce que les changer impliquerait un coût ou un effort trop élevé, même si ce changement pourrait être encore plus payant à long terme.
Dans le cadre notre controverse,
le path dependence est au cœur de l’argumentation du GIEC pour soutenir la méthodologie officielle
. C’est ce qui explique en grande partie l’inertie du système actuel, la difficulté d’initier un changement d’approche méthodologique étant donné que les guidelines en matière d’inventaires nationaux ont posé un cadre sur la base duquel les pays ont beaucoup travaillé :
ils ont développé des outils de mesure, accumulé des données et un recul pour observer des évolutions et comparer entre les pays
, ce qui contribuer à
légitimer et consolide la méthode par la production avec le temps.
A l’inverse
l’approche par la consommation est plus incertaine parce qu’il n’y a pas de cadre officiel
de mesure et surtout, uniformisé à l’échelle internationale :
on en revient à la notion de path dependence, ce sur quoi joue beaucoup le GIEC pour décrédibiliser les alternatives actuelles.
Finalement, le choix d’une comptabilisation particulière pour mesurer le CO2 revient à se poser une question essentielle.
A qui la responsabilité de ces émissions doit-elle être imputée : au producteur ou au consommateur?
Ou bien aux deux dans le cadre d’une responsabilité commune?
- Principe de production :
Face à un essor toujours plus important du commerce international dans le contexte de la mondialisation, la comptabilisation actuelle (définie par le GIEC) imputant
la responsabilité des émissions au producteur est de plus en plus remise en cause
. D’un côté,
les pays industrialisés peuvent augmenter leur consommation en CO2 puisque les émissions incorporées dans les importations ne sont pas comptabilisées avec la méthode actuelle
. A l’inverse, ce système de comptabilisation
pénalise les pays en voie de développement
qui possèdent encore une industrie de l’énergie largement développée et un système énergétique plus intense en CO2
. De plus, la différence au niveau des coûts production incite les entreprises des pays développés à la délocalisation. (
A titre d’exemple, depuis 2007, la Chine émet officiellement plus de gaz à effet de serre liés à la production que les Etats-Unis. Pourtant, si l’on ramène ces chiffres aux émissions, un Américain rejette deux fois plus qu’un Chinois. De même, environ 33 pourcents des émissions exportées par la Chine vont vers les Etats-Unis.
)
- Principe de consommation :
Dans l’hypothèse d’une méthode de comptabilisation reposant sur la consommation,
c’est le consommateur final dans le pays d’importation qui paierait la facture climatique des produits consommés
. De plus, ce changement du mode de comptabilisation
inciterait la limitation des importations de biens et de services afin de limiter ses émissions
, ainsi qu’à
améliorer l’efficacité énergétique et le contenu carbone de son énergie utilisée pour le processus de production des biens sur son territoire
. Pour finir, le passage à une méthode basée sur la consommation serait
un bon moyen pour que les habitants d’un pays se rendent comptent des conséquences de leur consommation personnelle
.
Toutefois, il faut noter qu’un système de comptabilisation des émissions uniquement basé sur la consommation et lié à un cadre climatique contraignant
conduirait certainement à une augmentation du prix des biens importés et exportés
ce qui signifierait une baisse de la consommation de biens importés dans les pays industrialisés. Cette évolution devrait avoir pour conséquence une relocalisation partielle des activités de production ce qui pourrait fortement pénaliser certains pays en voie de développement.
Les pays émergents exportateurs verraient leur croissance économique baisser et les pays pauvres les plus dépendants en importations verraient leur consommation touchée également
.
L’enjeu crucial du choix d’une méthode de comptabilisation relève aussi d’une
question d’équité en terme de responsabilité
face aux rejets de CO2
. (
Cette équité passe ainsi dans la reconnaissance de la responsabilité historique des pays développés dans le calcul des émissions. En effet, bien que les politiques climatiques ne soient pas la cause première des délocalisations, la méthode actuelle de comptabilisation des émissions de CO2 permet aux pays développés de respecter leurs objectifs climatiques tout en continuant le même schéma de consommation qu’auparavant, et cela grâce à la consommation de biens importés. Face à cette réalité, il semble donc presque inévitable, pour que la réduction des émissions de CO2 au niveau mondial se fasse, que la responsabilité soit attribuée au consommateur. Cependant, l’attribution de la responsabilité à l’unique consommateur n’inciterait pas les producteurs à décarboniser leur production. C’est pourquoi une réflexion se développe de plus en plus sur l’émergence d’une responsabilité partagée entre producteur et consommateur ce qui permettrait de faire évoluer les règles du commerce international.
)
- Vers une responsabilité partagée ?
Une des possibilités est d’envisager la mise en place d’
une responsabilité partagée entre le pays producteur qui est souvent en développement et le pays consommateur qui est souvent un pays développé.
Cette issue considère que les pays devraient avoir accès à la fois aux chiffres sur les émissions liées à la consommation et les émissions liées à la production. Au final c’est un peu ce sur quoi s’était accordés les négociateurs de la COP21 en fixant des compensations pour les pays les moins consommateurs. Toutefois
faire émerger cette bi-responsabilité empêcherait ce rapport de force basé sur la charité d’un des deux pays
. Cette double responsabilité pourrait émerger grâce à l’instauration d’un cadre législatif obligeant les pays consommateurs à contribuer à la réduction des émissions des pays en voie de développement par des transferts technologiques et des accords de branches.
(
H.T Odum dans Environemental accouting utilise l’exemple d’une chaîne de pays ou d’un processus de production allant de l’extraction des matières premières jusqu’à l’utilisation finale d’un produit transformé. Nous pouvons comptabiliser toutes les émissions, qui sont incorporées et cumulées le long de la chaîne. Suivant ce raisonnement, l’émission totale de CO2 doit être attribuée à des pays ou les phases du processus en proportion des émissions de CO2 nécessaires le long de la chaîne. Cette méthode hybride permettrait de responsabiliser plusieurs acteurs afin de tendre vers des réductions efficaces des émissions.
)
Mécanismes proposés dans le cadre d’une co-responsabilité :
- L’OXAM et WWF ont proposé la mise en place d’un
système de taxation des carburants des soutes aériennes et maritimes
, dans le cas du transport international avec une redistribution des recettes aux pays les plus pauvres.
- L’ADEME propose en parallèle des systèmes de comptabilisation des émissions actuels d’
obliger la mise en place d’une comptabilisation connexe en fonction de la consommation
. Elle propose également
un transfert de technologies des pays développés au pays en voie de développement
ainsi qu’une
relocalisation des activités de production dans des pays avec une intensité carbone inférieure
.
- Des scientifiques de l’American Council for an Energy avancent dans un rapport de 2012 que la
mise en place d’objectifs contraignants sur les émissions liées à la consommation pour les pays industrialisés est indispensable pour inciter les pays exportateurs à produire des biens moins émetteurs
. Cela serait possible selon même sans objectifs chiffrés de réduction des émissions pour les pays en développement.
- La France a récemment proposé lors d’un sommet européen sur le climat la mise en place d’une
mesure d’ajustement carbone aux frontières pour accroître l’ambition des politiques climatiques actuelles
tout en protégeant les entreprises de la concurrence internationale dans d’autre pays où les contraintes des politiques climatiques seraient moindres. Pour que ce mécanisme fonctionne, l’ADEME insiste sur la nécessité d’une
augmentation de la tarification du CO2 et de la contrainte climatique
.